Structurer le commerce local pour mieux exporter
May 10, 2025
En Mauritanie, comme dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, l’économie repose en grande partie sur l’activité informelle de petits commerçants, d’artisans et de producteurs ruraux. Ces acteurs, souvent invisibles dans les circuits formels, jouent pourtant un rôle fondamental dans la création de valeur, la résilience sociale et la transmission des savoir-faire. Ils produisent quotidiennement une diversité de biens – allant des dattes du Tagant aux poissons séchés du littoral, en passant par les tissus brodés de Nouakchott et les huiles naturelles du Sahel – qui pourraient séduire des marchés internationaux sensibles à l’authenticité, à la durabilité et à l’éthique.
Pourtant, malgré la richesse de cette offre, la Mauritanie exporte encore trop peu de produits transformés issus de son artisanat ou de son agriculture vivrière. Le potentiel est immense, mais reste en grande partie inexploité, du fait de plusieurs barrières structurelles. Le manque d’accès à l’information sur les normes internationales, l’absence de packaging répondant aux standards de l’exportation, la difficulté d’accès au financement, ou encore l’isolement logistique rendent l’aventure de l’export quasi impossible pour un petit acteur agissant seul.
Prenons l’exemple du poisson transformé : la Mauritanie est l’un des plus grands producteurs de ressources halieutiques d’Afrique de l’Ouest, mais l’essentiel des exportations est contrôlé par des grands opérateurs internationaux et concerne des produits bruts congelés. Les petits producteurs de mulet fumé, de sardinelle séchée ou de boutargue artisanale, pourtant prisés dans certaines cuisines méditerranéennes ou asiatiques, ne disposent ni des moyens ni des canaux pour atteindre ces marchés de niche.
De même, l’huile de balanites (connue localement sous le nom de “tabarakte”), aux propriétés cosmétiques reconnues, est produite dans plusieurs zones sahéliennes du pays mais peine à dépasser le cadre local faute de certification ou de valorisation marketing. Le cuir tanné à Néma, les dattes du Brakna ou du Gorgol, le henné naturel, ou encore les encens artisanaux sont d’autres exemples de produits aux qualités exportables, à condition d’être accompagnés, structurés et soutenus.
Structurer le commerce local, c’est donc avant tout organiser les filières. Cela signifie regrouper les producteurs en coopératives fonctionnelles, créer des unités de transformation aux normes, former les acteurs aux exigences de qualité, de traçabilité et de logistique, et faciliter leur accès à des salons, foires et marchés internationaux. Cette structuration ne peut être portée uniquement par les commerçants locaux. Elle nécessite l’implication active des pouvoirs publics, des institutions financières locales, et surtout des partenaires étrangers qui voient dans ces produits une opportunité commerciale et sociétale.
Les commerçants étrangers peuvent jouer un rôle moteur en apportant du préfinancement, en co-développant des labels de qualité, ou en créant des marques communes destinées à l’export. Un entrepreneur européen souhaitant importer du henné naturel pourrait, par exemple, s’associer à un groupement de femmes dans l’Assaba pour sécuriser la production, mettre en place une unité d’emballage, et ouvrir des débouchés dans les boutiques bio d’Europe du Nord. De la même manière, un importateur de produits de la mer pourrait valoriser un produit de terroir comme la boutargue en développant avec des artisans de Nouadhibou un cahier des charges sanitaire et une plateforme logistique adaptée.
Il faut également tirer parti des accords préférentiels existants, notamment avec l’Union européenne ou dans le cadre de l’AGOA avec les États-Unis, qui permettent à la Mauritanie d’exporter certains produits sans droits de douane. Mais pour cela, il faut formaliser les structures, aider à l’enregistrement des entreprises, former aux procédures douanières et appuyer la création de plateformes numériques de commerce extérieur. Le passage du commerce informel vers le commerce structuré est une étape essentielle pour accéder à ces avantages.
Les autorités mauritaniennes ont un rôle clé à jouer : faciliter les démarches administratives, créer des zones d’activités pour les petits transformateurs, développer des infrastructures logistiques modernes (ports secs, hubs routiers), et promouvoir activement les produits nationaux à l’international à travers des foires et campagnes de valorisation. La mise en place d’un label “Made in Mauritania” – garant de l’origine, de la qualité et de la durabilité – serait un pas fort dans cette direction.
En structurant son commerce local, la Mauritanie ne se contente pas d’organiser l’économie informelle : elle transforme des pratiques de subsistance en véritables chaînes de valeur. Elle donne aux petits commerçants la possibilité de vivre de leur travail avec dignité, de créer de l’emploi dans les zones rurales, et de participer activement à l’intégration du pays dans l’économie mondiale. Pour les partenaires étrangers, c’est l’opportunité de construire des filières transparentes, traçables et équitables, dans un esprit de coopération gagnant-gagnant.
Cette dynamique, si elle est accompagnée de manière intelligente, peut faire émerger une nouvelle génération de “champions locaux de l’export” : des femmes, des jeunes, des artisans, qui ne demandent qu’à être mis en réseau avec le monde. Le défi est grand, mais les fondations existent. Il ne reste qu’à structurer l’élan.